Le châtaignier séculaire
Pour ma part, je l'ai découvert dans les années soixante-dix (1970). Majestueux, à la lisière d'un petit champ d'une vingtaine d'ares, il surplombait déjà les arbres alentour, les vaillants frênes et la jeune peupleraie voisine.
Chaque hiver nous récoltions de bonnes et grosses châtaignes. L'été, ses feuilles vertes, plates et finement ciselées servaient à faire sécher les fromages de chèvre. Il fournissait également un excellent abri et décor pour nos cabanes en planches!
150 ans, dîtes, ce n'est pas rien !
Vers 1850, la châtaigne était prospère. C'était l'âge d'or des Châtaigniers à ce qu'il parait. A cette époque, vivait au village une fraterie de potiers. Le sous-sol est riche en argile et c'était un lieu de passage reconnu.
Depuis ces temps reculés, notre cher arbre a vu défiler bien des saisons, des hivers rudes, des étés arides, des orages et autres intempéries. Mais il est toujours debout. Pommiers et chênes têtards n'ont pas résisté, quant à eux, à la tempête de février 1973.
Complicité et raison
Cette longue et tendre complicité m'a inspiré le respect à son égard. A plusieurs reprises, il a bien failli être la victime d'une coupe franche. La raison a su l'emporter.
Du haut de ses quelques dix-huit mètres, il accueille nombre d'oiseaux : passereaux, merles, corbeaux, huppe fasciée, geais, étourneaux, grives... La liste serait longue à établir. Chacun y trouve son repaire, son refuge. Il sert de relais pour rejoindre et surveiller les cerisiers tout proches.
La vue de là-haut doit y être superbe, c'est ce que je me suis souvent dit. Bien incapables que nous sommes, de réaliser ne serait-ce qu'une fois, ce que la gente ailée s'avise si abilement..
Mais voilà, petit à petit, il est atteint lui aussi d'une certaine "calvitie", dirais-je ! En effet, les branches de tête se sont mises à ne plus avoir de feuilles. Et d'années en années, leur écorce est tombée. Le lent phénomène était en route et a contaminé les branches du dessous. Un lierre a bien essayé d'aller à son secours mais s'avère peu performant pour se fixer sur le bois nu.
Impuissants, nous ne pouvons que constater ce triste sort. Les autres châtaigniers du village, de la même "classe", en sont malheureusement réduits à ce déclin. Sécheresses à répétition. Canicules. Déficit en eau. Modifications de l'atmosphère. Appauvrissement du sous-sol. Vulnérabilité à de nouvelles bactéries. Allez savoir ! Autant de questions, de facteurs connus voire inconnus...
Un arbre à deux vitesses
En tous cas, c'est maintenant un arbre à deux vitesses. Un étage supérieur aux formes étranges. Des lignes d'une certaine force mais où règne désormais un univers monotone et sans vie. Un bois lisse et dénudé, exposé à tout vent. Ses énormes branches basales, à l'écorce ridée, s'affairent, quant à elles, à conserver un feuillage verdoyant. Solliciter à tout prix cette photosynthèse vitale, primordiale pour la survie. Quelque temps encore.
Il s'essaie à pousser à terme, du mieux qu'il peut, de belles bogues bien emplies de fruits charnus et délicieux.